Interview
de Guillaume Orsat
(la
voix française de TC)
Le
comédien Guillaume Orsat prête sa voix à TC / Rodney Van
Johnson dans la version française de "Passions".
Habitué du théâtre (parmi ses dernières prestations : "Le
Convive de Pierre" de Pouchkine, "Bérénice d'Egypte"
d'Andrée Chedid et "Le Malentendu" de Camus), vous
avez pu le voir au cinéma dans "I want to go home"
d'Alain Resnais ou "Un amour de Swann" de Volker
Schlondorff et à la télévision dans "Histoire d'amour"
sur TF1. Il a très gentiment accepté de répondre à nos
questions.
Propos recueillis par Cyril
HOMMAGE A KATYA BOCHARD Je veux tout dabord, pour commencer cette interview, rendre un hommage à Katya Bochard, qui a supervisé et co-dirigé « Passions ». Et parler de « Passions », cest avant toutes choses penser à elle. Elle nous a quitté le 9 octobre 2002. Brutalement bien sûr, car toute mort est brutale, mais lorsquelle se produit à 35 ans, elle en devient insupportable. Javais rencontré Katya sur un plateau de théâtre elle était assistante à la mise en scène sur un spectacle que javais joué il y a quelques années -, nous nous sommes souvent retrouvés sur des plateaux de doublage, nous refaisions joyeusement le monde sur sa terrasse face au Sacré-Cur, cétait une grande, grande amie. Elle me manque. Je garde en mémoire certain fou-rire en descendant voir une amie commune à Grenoble. Guillaume Orsat. |
Comment
êtes-vous devenu comédien ?
Depuis l'âge de 11 ans, je
crois, j'ai toujours voulu être comédien. Je voulais d'abord être
chef d'orchestre, puis comédien. Après le bac, j'ai pris des
cours d'art dramatique : d'abord dans un cours privé, puis à la
Rue Blanche, et ensuite au Conservatoire National Supérieur
d'Art Dramatique de Paris. J'ai commencé à travailler théâtre,
tournages - pendant les cours.
Comment
avez-vous commencé le doublage ?
J'ai essayé d'en
faire quand j'étais à la Rue Blanche, vers 20 ans. A l'époque,
j'ai assisté à beaucoup de plateaux, et un jour j'ai été
embauché à Record Films par Gérard Cohen qui dirigeait un
film, "Rosa Luxemburg". Je devais faire un jeune soldat
qui n'avait qu'un mot à dire : à lhéroïne lui
demandant doù il venait, il répondait « De Brême »
sur « Bremen » ; je n'ai jamais réussi à poser
ces deux syllabes en place. Il m'a fait faire autre chose, un rôle
de danseur, sortant de scène. Là, cest létat
physique dessoufflement que je narrivais pas à
trouver. Visiblement, je n'étais pas fait pour ça. Puis au
Conservatoire, le réalisateur Francis Girod, dans le cadre du
cours de cinéma, nous a proposé de nous donner des notions de
doublage et de post-synchronisation (utiles pour tout le monde,
car nous étions censés tourner par la suite, et donc nous post-synchroniser).
24 élèves sur 26 protestèrent ; jentendis des
choses du style « Métier de ringards ! » ou « Plutôt
faire du porno que de la synchro ! » Seules deux élèves
étaient daccord: Philippe Torreton et moi. Aujourdhui,
Philippe tourne beaucoup, et donc se post-synchronise, et moi, le
doublage est mon activité principale. Plus concrètement, je
suis entré dans le doublage courant 95 / début 96. Je devais
partir sur un tournage en Amérique du sud qui ne s'est
finalement pas fait, je revenais d'une tournée, je n'avais plus
un sou en poche, il fallait que ça marche. Remplacement au pied
levé dun ami appelé sur autre chose, un rôle oublié
dans le plan de travail, le coup de pouce de Jean-Pierre Dorat
qui ma, durant un an, employé sur tous ses plateaux dambiances
et de petits rôles, ce qui ma permis dacquérir une
certaine aisance technique qui me manquait
et ça ne sest
plus arrêté : quelques mois plus tard, je retrouvais
Martine et Gérard Cohen pour doubler Hugh Grant dans "Raison
et sentiments"
Depuis,
vous doublez de grandes stars hollywoodiennes, est-ce important
pour vous de suivre un acteur de film en film ?
Oui, bien sûr. Par
exemple, concernant le comédien que j'ai doublé dans "Passions",
j'ai découvert après qu'il était dans "Les feux de
l'amour" mais ce n'est pas moi qui le fait. J'aurais bien
aimé le faire : ça fait un bout de temps qu'il est dans la série
et il y fait un joli parcours. Pour ce qui est des stars, c'est
vrai que plus on les double, plus une complicité se crée.
Mais des rencontres comme ça, il y en a assez peu. Moi, je sais
que j'en ai eu quatre. Il y a eu Hugh Grant en premier, puis
Brendan Fraser que je double maintenant très régulièrement
("La Momie", "Le Retour de la momie", et
dernièrement dans "Les Looney Tunes passent à l'action").
On commence à bien se connaître. En plus, je l'ai vu jouer au
théâtre à Londres, je me suis rendu compte que ce n'était pas
seulement le comique lourdaud qu'on voit au cinéma, mais un comédien
complet. Il jouait "La chatte sur un toit brûlant" de
Tennessee Williams, donc dans un registre extrêmement
dramatique, psychologique, et il était vraiment prodigieux.
Ensuite, une jolie rencontre avec Jude Law que j'ai doublé deux
fois : dans "Bienvenue à Gattaca" et "Gangsters,
sex et karaoké". Et puis ma plus grande fierté de doublage
: Peter Krause dans la série culte "Six feet under".
C'est une série prodigieuse et une vraie rencontre avec le comédien.
Mais quelque soit le nombre de fois où nous doublons un comédien,
on est à labri de rien : nous dépendons toujours des
choix des clients, des directeurs de plateau, qui peuvent décider,
sur tel ou tel film, de prendre une autre voix que la voix « habituelle »,
et souvent pour un résultat pas très heureux. Cest forcément
gênant quand le public est habitué à telle voix sur tel comédien.
Lorsquon remplace lirremplaçable Jean-Claude Michel
sur Clint Eastwood dans "Sur la route de Madison", ou
quon change Patrick Poivey sur Bruce Willis dont tout le
monde saccorde à reconnaître quil « lhabille »
merveilleusement, il y a quelque chose dirrespectueux et de
pas très honnête par rapport au public, sous le prétexte de
vouloir faire original.
Pour
en venir à "Passions", comment s'est passé le
doublage ?
Ca a été rapide,
trop rapide. Je pensais qu'on était parti pour une très longue
série, comme c'était le cas pour "Loving / Amoureusement vôtre"
qui venait de se terminer. J'aime bien faire ce genre de séries,
souvent les plans de travail sont extrêmement précis : on
vient, on fait son rôle - qui souvent parle beaucoup et bien -
et ça n'empêche pas de faire dautres choses à côté,
donc c'est très agréable. On travaillait 2 jours par semaine et
chacun des deux jours, on enregistrait 2 épisodes soit 4 épisodes
par semaine. Il y avait une ambiance absolument divine. Moi,
j'avais été embauché par Katya Bochard qui supervisait toute
la série. J'ai retrouvé plein d'amis. Des gens dont je savais dès
le départ que jallais aimer enregistrer avec eux. C'était
vraiment agréable de se retrouver comme ça. On a enregistré de
fin mai à fin juillet / début août, et on pensait reprendre à
la rentrée. Il était également question que je reprenne la co-direction
de plateaux avec Katya et Hervé Rey. Comme la série n'a pas
repris, ça a été une double perte : la perte de mon personnage
qui sapprêtait à révéler son secret, et également la
perte d'une éventuelle direction de plateau. Promotion bâclée,
coupes aléatoires dans les épisodes, diffusion de mi-juillet à
fin août, l'attitude de TF1 a été plus quétrange, on a
toujours eu l'impression qu'ils ne croyaient pas à cette série,
que c'était pour eux une série bouche-trou pour l'été. Nous
avons pourtant cru que ça pourrait faire comme pour "Les
feux de l'amour", "Amour, gloire et beauté" ou
comme "Amoureusement vôtre", être diffusé sur des
mois voire des années... Comme je travaille bien, la fin - que jespère
provisoire ! - de « Passions » na pas eu
trop dinterférences sur ma vie. Mais pour d'autres qui
travaillaient moins, les retombées financières ont dû être
plus mal vécues. L'arrêt de la série était très bizarre, car
ça me paraissait aussi porteur que "Les feux de l'amour",
"Amoureusement vôtre", etc
ou peut-être plus
proche de "Des jours et des vies" avec le côté
surnaturel, fantastique. J'ai une anecdote à ce sujet : dans un
épisode, le Diable apparaît pour parler à Tabatha, et c'est
moi qui le double. C'était d'autant plus drôle que dans "Le
Prince d'Egypte", quelques temps auparavant, javais
doublé Dieu ! La boucle était bouclée !
Que
pensez-vous de la mode actuelle d'engager des "stars"
dans les doublages, comme dans le récent "Frères des Ours"
avec la voix de David Douillet ?
Si ce sont des comédiens
et que le résultat est bon, c'est très bien. Mais quand ce sont
des personnages médiatiques, issus du sport, comme dans "Némo"
ou "Frère des Ours", ou de la télévision, comme
Nagui sur le Père Noël, je trouve ça absolument lamentable.
Ces personnes prennent des salaires hallucinants, alors qu'un comédien
est payé, pour le même travail, 10 fois, 20 fois, 30 fois moins
cher et que le travail est nettement meilleur. Et je suis persuadé
que personne ne va voir ces films en se disant : "Je vais
entendre la voix de David Douillet" ou que la mention sur laffiche
« Avec la voix de Nagui » ne fait pas vendre un
strapontin ! Je ne trouve pas ça honnête par rapport à
des gens qui font du doublage depuis des années, qui le font
bien, qui galèrent parfois, mais qui en vivent. Personnellement,
je ne me permettrais pas de proposer à mon boucher de découper
la viande à sa place, ou à mon maire darrondissement de célébrer
un mariage ! Cest un métier, nous avons suivi
diverses formations pour le faire au mieux, nous avons plusieurs
années dexpérience.
Quel est
votre meilleur souvenir de doublage ? "Six Feet Under"
?
Oui, pour plusieurs raisons. D'abord, parce que, à la
base, c'est une magnifique et très originale série. Les comédiens
sont extraordinaires, tous, jusqu'au plus petit rôle.
Et les comédiens avec qui je travaille sur "Six feet
under" sont des gens que je côtoie régulièrement. La
qualité de la série et l'exigence pour le doublage sont telles
qu'on est tous obligé d'aller au-delà de nos facilités, de
faire table rase des « trucs » dacteur que nous
avons tous, de se montrer à nu, à vif. Par ailleurs, ma femme
à la ville est également sur la série, nous formons au micro
ce couple d'amants terribles, Nate et Brenda. Le directeur de
plateau, Georges Caudron, pensait que le fait de nous engager
tous les deux apporterait un plus à nos interprétations et à
nos émotions, il ne sest pas trompé ! Ca agit sur
notre propre couple comme une espèce de catharsis. C'est une série
très importante pour moi, avec de grands, très grands moments damitié,
de rire, démotions brutes, dhumanité, et j'attends
la 4ème saison avec impatience.
Vous avez
une préférence entre le doublage, le théâtre et les tournages
?
Non, ce sont des disciplines différentes, mais je fais
toujours le métier que jai choisi, et jessaie, dans
quelque domaine que ce soit, de le faire au mieux de mes
possibilités. Le théâtre est la base même de notre métier
d'acteur, mais lorsque ça ne se passe pas bien, cest très
douloureux, car, sur un spectacle, entre les répétitions, les
représentations, les tournées, on passe souvent des mois avec
les mêmes personnes. Quand ça se passe bien, cest le plus
grand bonheur qui soit. Cest pareil pour le doublage. Il y
a des plateaux comme "Six feet under" ou "Passions"
qui se passent merveilleusement bien, où on travaille avec des
gens adorables. Et puis il y a des plateaux où lambiance
peut être difficile, mais ils sont assez rares. On peut faire
des choses plus ou moins intéressantes, plaisantes à doubler.
Mais si on le fait avec le plaisir du travail bien fait et la
joie dêtre avec des gens généreux, tout se passe bien,
ça va de soi.
Si TF1 ou
une autre chaîne décidait de remettre "Passions" à
l'antenne, vous seriez prêt à reprendre le doublage ?
Bien sûr. Jadorerais reprendre "Passions".
La plupart des comédiens le veulent aussi, jen suis
certain. Et jaimerais tellement savoir ce que TC a de si
important à raconter sur son passé. J'espère que la série
reprendra, je croise les doigts. C'est tout à fait le genre de
chose que TF1 peut décider de repasser du jour au
lendemain, les 80 ou 90 épisodes qu'on a doublé, et puis
la suite, ce serait vraiment bien.
Merci !
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